lundi 25 juin 2012

Sur le Ring de Chéreau


           Voilà un petit travail de mon cru que je vous propose à la lecture, malgré son intérêt somme toute limité. 

          La mise en scène par Patrice Chéreau du Ring de Richard Wagner à Bayreuth, de 1976 à 1980, reste un moment de la mise en scène d’opéra essentiel et révélateur des enjeux dramaturgiques et scéniques auxquels le genre a pu être confronté durant le dernier quart du vingtième siècle. C’est à l’initiative de Wolfgang Wagner, petit fils du compositeur, directeur du festival de 1966 à 2008, que le Werkstatt Bayreuth, “atelier Bayreuth”, s’ouvre à des metteurs en scènes célèbres d’horizons divers. Cette volonté d’ouverture et de rénovation des pratiques théâtrales et scéniques du festival correspond avec l’invitation confiée à Patrice Chéreau d’accompagner la direction musicale de Pierre Boulez pour cinq ans.
            Encore aujourd’hui, ce couplage et cette mise en scène restent célèbres et célébrés : la quasi-unanimité critique qui entoure la performance artistique de ce Ring et de cette tétralogie contraste d’autant plus fortement avec l’entourage critique extrêmement circonspect qui accompagna la première étape de cette mise en scène, avec la représentation de Das Rheingold, prologue du Ring des Nibelungen. Si l’on en revient, pareillement, à la réception critique originelle de cette mise en scène, force est de constater qu’en son temps, le projet suscita des réactions diverses. Sifflée en 1976, la mise en scène de  Patrice Chéreau finit par être, lors de sa dernière représentation en 1980, par être la plus applaudie de l’histoire du festival, s’accompagnant même de plus d’une centaine de levers de rideau finaux et d’une heure et demi d’applaudissements.
            On pourra interroger cette mise en scène doublement : du point de vue de sa conception, dans un premier temps ; puis dans un second temps de l’analyse, du point de vue de sa réception publique et critique.

            C’est Pierre Boulez qui résume peut-être le plus clairement la problématique scénique à laquelle Patrice Chéreau et lui-même ont été confronté :  « Dans cette confusion du temporel et de l’intemporel, du personnage et du mythe, la fonction et le style de la musique, sont, en effet, étrangement oubliés. (…) Pour effectuer une transcription correcte de la réalité drame-musique, la représentation ne saurait donc s’encombrer d’un interdit stylistique qui n’existe strictement pas dans le texte lui-même de l’œuvre, qui existe seulement dans des indications scéniques pensées pour une visualisation bien spécifiquement établie dans le temps. »[1]
            La mise en scène que propose Chéreau de l’œuvre wagnérienne refuse très explicitement l’ancrage mythologique et mythique germanique, et situe l’œuvre dans une optique socialiste et marxiste qui fait très clairement écho à l’orientation politique du jeune Wagner. L’ambition paraît néanmoins être autre : la mise en scène de Patrice Chéreau insiste sur la démythification du texte wagnérien, et c’est l’ensemble du champ référentiel qui semble être bouleversé par cette orientation. Ce projet s’inscrit dans un courant et une école de mise en scène très particulière : le concept et le phénomène d’application sont particulièrement pertinents et mis en lumière dans le travail de direction et de mise en scène de Patrice Chéreau. Là où les représentations traditionnelles du Ring de Wagner pensait jusqu’alors l’œuvre en relation avec un arrière-champ référentiel très germanique, Chéreau situe l’œuvre dans une réalité atemporelle marquée par des références scéniques fortes à la lutte des classes et à la conception socialo-marxiste de l’Histoire. Ces références à une actualité historique contemporaine différente du cadre mythologiques wagnérien sont nombreuses : les Nibelungen, par exemple, sont remplacés sur scène par des mineurs et des ouvriers, quand les Gibichungen deviennent eux des cols blancs bourgeois, dominants et exploitants. Par ailleurs, l’arrière-scène et l’ensemble des décors font écho à une actualité bien spécifique : le Rhin est remplacé par un barrage, l’arrière-champ parsemé de château se dérobe au profit d’une succession d’usines et de cheminées, de hauts fourneaux et de carrières.
            Cette démarche n’est pas vaine : le barrage de Das Rheingold en plus de situer la mise en scène de Chéreau dans le champ référentiel industriel et socialiste, questionne fondamentalement le sens de l’œuvre. Le metteur en scène français semble ainsi confirmer l’idée selon laquelle la nature dans l’Or du Rhin n’existerait que soumise, dominée et rabaissée par des ressorts d’asservissement semblables à ceux qui tissent l’essentiel de la relation du travailleur au capital. Si le phénomène d’application sert à Patrice Chéreau de projecteur quant à une réalité contemporaine concrète, se mise en scène questionne aussi bien le sens premier de l’œuvre, et le mythe wagnérien, et la question de la représentation artistique. La représentation artistique traditionnelle de l’œuvre wagnérienne est déniée : Wieland Wagner, par exemple, parangon de l’establishment  bayreuthien, considérait la nature comme l’espace logique de déploiement de l’intrigue mythique. Ainsi, le chant des oiseaux durant l’interlude du Siegfried, les espaces d’apaisement naturels et paysagers de la Walkyrie ou du Götterdämmerung disparaissent dans la mise en scène de Chéreau qui se refuse à toute pause, à toute diminution de la tension dramaturgique et scénique durant la représentation. L’objectif paraît être double : confirmer l’intentionnalité esthétique de la lecture socialiste du Ring, refuser le manque d’audace formelle et la facilité qu’induirait la représentation traditionnelle de l’arrière-champ mythique et pangermanique wagnérien usuel.
            La démarche de Patrice Chéreau se révèle cependant plus complexe qu’elle n’y paraît : loin viser la suspension de la dimension mythique de l’œuvre, au profit d’une actualité politique contemporaine, c’est l’irruption sur scène de cette actualité contemporaine qui vient graver dans la chair du spectateur le caractère épique et mythique du cycle wagnérien. L’application semble de fait s’accompagner, dans la démarche de Patrice Chéreau, d’une héroïsation de la mise en scène au travers de l’irruption du réel sur scène. Cette dimension mythologique et mythique renouvelée et réinventée, transformée par le prisme déformant de la critique socialiste et marxiste, fait ainsi directement écho aux préoccupations idéologiques et politiques du spectateur contemporain.
L’origine de la démarche semble être claire : resituer le mythe wagnérien en regard à la fois d’une actualité politique contemporaine, d’une consistance scénique héroïsée, et d’un caractère épique réinventé d’autant plus fortement qu’il fait écho aux considérations actuelles et idéologiques du spectateur. Pour autant, la réception de l’œuvre, l’actualité du spectacle et du réel propre à l’instant de la représentation, comme les critiques théâtraux et / ou musicaux contemporains du spectacle, trahissent des réactions et des comportements très divers.
L’instant de la représentation de L’Or du Rhin, en 1976, est marqué par un fait totalement inhabituel pour le Festival de Bayreuth, où le langage corporel (applaudissements, manifestations diverses du spectateurs) est très codifié. L’irruption du réel au théâtre n’a pas lieu que de la scène vers le spectateur, mais aussi du spectateur vers la scène et les acteurs de la représentation. Les sifflets apparaissent ainsi à Bayreuth : la réaction immédiate et subjective du spectateur, ne reconnaissant pas ce qu’il était en droit, presque institutionnellement, d’attendre, semblait ne pouvoir se manifester spontanément de cette manière. Le refus et la critique immédiate du spectateur est double : d’une part, nombre des spectateurs de 1976 furent choqués par le contenu idéologique et politique du spectacle, radical, jusqu’au point de dresser contre lui les instrumentistes du festival, qui refusèrent pour certains d’entre eux de travailler en collaboration avec Patrice Chéreau, comme le souhaitait à l’origine Pierre Boulez. D’autre part, c’est le contexte du festival en lui-même qui semble favoriser, lors des premières représentations, des réactions épidermiques. Le décorum et l’emballage protocolaire extrêmement lourd de Bayreuth, le traditionalisme des représentations et des mises en scènes et des publics, touchaient avec ce spectacle à un point de condensation et de cristallisation des mécontentements, induits par la grande rénovation du festival entreprise par Wolfgang Wagner au début des années 70. Cet ensemble et cette dualité expliquent en partie la réception extrêmement mesurée, froide, voire incendiaire (les premières représentations de Das Rheingold en 1976 sont longuement sifflées et huées) du public. C’est la chair agressée idéologiquement du spectateur qui semble s’exprimer. L’intérêt est d’autant plus fort ici que le Ring de Wagner se déroule sur cinq ans à Bayreuth. Le spectacle est ainsi mis en pause, à la fin de Das Rheingold, sa continuation étant reportée à 1977, et à la représentation de sa suite directe, Die Walküre. Cette année de latence, cette entracte géante du spectacle, est donc marquée, dès l’achèvement de la représentation de Das Rheingold, par un refus caractérisé par le public d’adhérer à l’esthétique dramaturgique et scénique mise en œuvre durant le premier acte. L’équivalent théâtral classique de ce comportement du spectateur reviendrait à imaginer qu’une pièce de théâtre soit interrompue entre deux actes par les huées et les sifflets du public : l’actualité de la représentation, la réalité de l’instant du spectacle font ainsi irruption sur scène, et influe en partie sur le comportement du metteur et scène. Loin de pousser Patrice Chéreau à revoir les orientations de mise en scène qui sont les siennes en 1976, cette irruption du réel sur la scène de théâtre l’incite à confirmer, dès 1977, la radicalité de son propos : Die Walküre sera explicitement présentée comme une prolongation scénique de l’influence de la philosophie schopenhauerienne et nietzschéenne sur l’écriture dramaturgique du compositeur allemand.
Le parti pris théâtral presque brechtien de Chéreau finit par provoquer une vague d’admiration et de fascination chez les spectateurs, au fil des ans, le spectacle étant de plus en plus attendu et impatiemment commenté. La radicalité du propos et de la mise en scène, l’irruption d’une réalité de la représentation scénique au théâtre, participent du sentiment pour le spectateur de Bayreuth d’assister à un moment clé et fondateur de l’histoire de ce festival, et plus encore, de l’histoire de l’opéra et de sa représentation. Ce phénomène d’attraction, cette conscience de spectateur aiguë, contribuent à rendre le Ring de Chéreau et l’instant de sa représentation eux-mêmes mythiques. D’autre part, l’application et la force du propos politique, l’inclusion du corps du spectateur dans le projet scénique et esthétique de Chéreau, participent d’un phénomène plus général qui poussera le public à acclamer la dernière représentation de 1980. Celle-ci voit le public et les spectateurs réagir de façon à ce que ce spectacle, en 1980, en s’inscrivant au moment même de sa réalisation dans l’histoire, soit percuté de plein fouet par le réel et l’irruption sur la scène théâtrale d’une actualité méta-théâtrale et critique, suffisamment fortes pour perturber le cours même de la représentation. Si la réception critique en 1976 était abondante et négative, le phénomène théâtral s’inscrit dans l’histoire du théâtre de manière spectaculaire : l’opéra et sa représentation sont fondamentalement remis en question, et nombres de mises en scènes postérieures, encore actuellement, se réclament explicitement ou pas, consciemment ou pas, de cette démarche, ne serait-ce que la re-création en 1979, par ce même Chéreau, du Lulu de Berg.

Le Ring de Chéreau et de Boulez semble, ne serait-ce que de prime abord, particulièrement répondre à la problématique de l’irruption du réel au théâtre. De façon évidente, en premier lieu, la conception de l’œuvre propose, dès 1976, de mettre en œuvre le phénomène d’application : le mythe wagnérien est récréé en regard d’une actualité et d’une irruption d’une réalité politique contemporaine sur scène. Plus encore, cette irruption s’accompagne d’une redéfinition des enjeux scéniques fondamentaux de l’œuvre wagnérienne : en proposant d’attaquer et d’agresser le spectateur idéologiquement, de manière fort et totalement assumée, constante, totale (musique, décors, jeu d’acteurs), Chéreau se sert de cette connexion au réel et à l’actuel pour repenser et refonder intégralement le mythe wagnérien et l’essence même de son arrière-champ mythologique. Cette irruption du réel au théâtre se manifeste aussi d’une manière plus pragmatique, plus immédiatement perceptible : dans sa chair, le spectateur réagit. En réagissant spontanément (sifflets et huées) ou de manière plus consciente de l’enjeu de l’instant (applaudissements interminables de 1980), le spectateur fait entrer dans l’instant de la représentation une composante externe : l’actualité de la représentation est incarnée, le réel et l’extériorité du monde scénique ne sont plus mis à distance de l’instant du spectacle. Le spectacle dans son intégralité, et du fait de l’extrême attente qui sépare chacun de ses actes, est soumis à l’irruption permanente de l’extérieur, de l’actuel, du réel : les sifflets de 1976 conditionnent la radicalisation accrue du propos en 1977, l’attente participe de la mythification et de l’héroïsation de l’instant théâtral, et contribue à faire émerger une conscience de l’historicité du moment singulière chez le spectateur. Le réel et son irruption dans le champ théâtral semblent démultipliés, corollaires et totalement rattachés à l’histoire de ce spectacle et de ce Ring. Cette extrême actualité de l’instant théâtral, l’exacerbation inouïe des passions du spectateur lors du spectacle comme la radicalité du parti pris et de l’application participent à coup sûr de l’importance capitale de ce Ring dans l’histoire de la représentation opératique.
L’irruption multiple du réel au théâtre semble être ici l’origine du mythe qui s’ensuit : le Ring de Chéreau et de Boulez reste encore aujourd’hui l’un des instants de scène d’opéra le plus célèbre du vingtième siècle.


[1] Pierre Boulez, cité par Catherine Steinegger dans Pierre Boulez et le théâtre, éditions Martaga, p. 295

B. B.

mercredi 6 juin 2012

(III) Semaine - ou presque - "Carlo Maria Giulini" (discographie)

Avec énormément de retard, encore une fois, voici la suite d'une sélection discographique inhabituelle. Néanmoins, aujourd'hui, je vous propose de redécouvrir un enregistrement beaucoup plus connu, très écouté, et presque légendaire:





Beethoven, Concerto pour piano n°5, Arturo Benedetti Michelangeli, Carlo Maria Giulini, Philarmonique de Vienne, 1987 (réédition de l'enregistrement de 1979), DG



Les deux incursions précédentes que je vous proposais dans l'oeuvre discographique du chef italien étaient dispensables, bien que passionnantes. Autant préciser d'emblée que cet enregistrement là est un chef d'oeuvre, un sommet discographique rarement égalé. 
A noter que Giulini s'était déjà exercé trois ans avant sur ce concerto avec le pianiste bulgare A. Weissenberg. Trois ans plus tard, remettant le couvert, Giulini s'essaye avec son compatriote à une semi-intégrale des concertos du maître allemand, filmée et télévisée: le premier, le troisième, et le dernier, donc, cet Empereur si réussi. 

Petits repères:
1. Allegro, 21:01
2. Adagio un poco mosso, 8:36
3. Rondo (Allegro), 12:12

Je vais vite passer sur la prestation de Michelangeli, fidèle à lui même: l'interprétation est noble, étourdissante de virtuosité, pénétrée d'une évidence et d'une simplicité d'exécution qui confond au génie pianistique. Ca n'est guère flamboyant: c'est impérial. 
L'agogique du second mouvement est peut-être la plus troublante: pertinente, évidente. L'ensemble s'avère techniquement irréprochable, quand le sentiment est, lui, à peine exprimé, retenu, austère, saisi dans la dignité la plus impressionante. La technique pianistique impeccable de Michelangeli se met toute entière au service d'un sens de l'épure et de l'essence frappant: la qualité du toucher comme la clarté des intentions musicales et esthétiques sont tout à fait remarquables. 

Il faut souligner aussi avec force l'étonnante alchimie des deux italiens. Le discours musical, en dépit de l'ébouriffante prestation pianistique de Michelangeli, est parfaitement partagé, très équilibré, et permet à l'orchestre et au piano soli de communiquer idéalement. 

Venons en à Giulini. Aidé d'un Philharmonique de Vienne des grands jours, Carlo Maria nous propose une lecture de Beethoven très dans le style. La compréhension du discours musical et du texte beethoveniens est totale: toutes les attaques sont pertinentes, tranchées, assumées et précises. En plus d'accompagner la thématique mélodique pianistique, la voix de l'orchestre est identifiée et identifiable d'emblée: clarté et transparences des pupitres, équilibre général de la masse sonore d'ensemble, précision rythmique et phrasé mélodique irréprochables participent à l'élaboration du chef d'oeuvre en cours. 

Au final, on se retrouve avec un enregistrement légendaire sur les bras, couplant génie pianistique à son apogée et direction d'orchestre toute aussi inspirée. Les deux grands maîtres, à l'heure de la maturité, nous proposent de plonger dans une oeuvre redécouverte: rarement Beethoven n'aura été aussi limpide et évident.

La vidéo se trouve plus qu'aisément sur le tube. 



samedi 2 juin 2012

(II) Semaine "Carlo Maria Giulini" (discographie)

Avec quelques heures de retard sur l'horaire prévu, voici la seconde étape de notre voyage Giulini de la semaine. 
Je vous avais proposé jeudi de découvrir le dispensable mais néanmoins nécessaire Bach du chef italien. On continue avec un autre disque plutôt peu connu, plutôt raté lui aussi, mais historiquement passionnant. 

Il s'agit de Schumann, et de son concerto pour piano, véritable passage obligé discographique pour bon nombre de chefs et de pianistes. Immédiatement, plusieurs versions me viennent à l'esprit: Haskil, Michelangeli, Levy, Serkin, Pollini. Mais honnêtement, Samsom François




Outre le plaisir de découvrir ce pianiste chez Prokofiev, ce disque vaut vraiment la peine d'être découvert.

Passons directement à l'écoute plus attentive de ce Schumann, puisqu'on s'intéresse surtout à Giulini. 

Le premier mouvement est complètement raté mais complètement passionnant. On passera sur la qualité plus que moyenne de la prise de son, on passera aussi sur les pains majestueux de François, sur les scories orchestrales ou pianistiques qui émaillent avec une certaine grâce et une certaine sensibilité cet allegro affettuoso. On passera dessus assez vite, parce qu'on retrouve le même cocktail sur les deux mouvements qui suivent. On ne retiendra alors que le piano toujours à fleur de peau de François, aux aigus toujours aussi surchargés d'émotion et de sensibilité. On retiendra aussi la direction presque timide, dans ce premier mouvement, de Giulini, plutôt en retrait. Ce concerto est une réelle déclaration d'amour au piano, avant d'être une oeuvre orchestrale et concertante: ça semble être ici le parti pris initial du couplage François/Giulini. Il faut dire, aussi, que l'Orchestre National de Paris n'est pas au mieux de sa forme, et qu'il se contente du strict minimum. On note quand même de belles interventions soli aux bois et un rendu du pupitre des cordes plutôt homogène, même si bien trop prééminent. 
L'expressivité est au rendez-vous, la précision l'est moins, mas c'est une vieille cire totalement réjouissante. 

Le deuxième mouvement est relativement équilibré, en regard des deux mouvements extrêmes: l'orchestre et le soliste semblent ici dialoguer beaucoup plus honnêtement que dans l'allegro précédent. Le piano de François est toujours habité par la même énergie, et si l'agogique se réduit au strict minimum, et qu'au final l'interprétation est plutôt fidèle, les décharges d'intentions et d'expressivité font ici merveille, malgré les défauts que l'on sait. La direction de Giulini est aussi plus franche, plus affirmée, et l'orchestre propose une prestation de meilleure niveau. 

Le mouvement final est un modèle du genre: parsemé de fausses notes, totalement habité, presque halluciné, souvent faux, souvent trop engagé. Alors on pourra se réfugier ailleurs, évidemment, et préférer des versions bien plus lisses, bien plus correctes finalement. On pourra être, aussi, rebuté par un parti pris vraiment très personnel ici, par un piano complètement fou, par une direction bizarrement masculine, plutôt violente, alternant avec beaucoup d'étrangeté aridité, sécheresse et expressivité lyrique dégoulinante. Il n'empêche que ce mouvement, à l'image de ce disque, est absolument passionnant, indispensable à qui souhaite enrichir sa collection Giulini, sa collection François, sa collection Schumann, ou tout simplement, égayer sa discographie d'un modèle d'engagement et d'allant.