samedi 12 mai 2012

De l'utilité d'écouter Sibelius (I)

Moins immédiate que la musique symphonique d'Europe germano-française, parce que plus éloignée, peut-être, ou juste trop différente, la musique de Sibelius est longtemps restée méconnue, ou mal connue, dans nos contrées francophones. 

Sibé-qui? Sibelius, prononcer Sibélius, pour briller en société. Jean de son prénom, l'ami Sibelius est le seul compositeur finlandais que votre maman connaîtra. C'est aussi, avec Grieg, pour les norvégiens, le seul nordique dont on trouvera trace dans les innombrables intégrales classiques. Vous savez, ces trucs aux pochettes toujours un peu moches, qui vous rappellent sans cesse que les maisons de disque n'ont toujours pas compris l'utilité de Photoshop. 

Quoi qu'il en soit, l'ami Sibelius, alcoolique notoire - oui, ça a son importance -, était aussi un compositeur de génie. L'alcoolisme, me direz-vous, est compréhensible. Quand on naît musicien dans un pays de bucherons, de caribous, avec pour seul paysage des forêts, des lacs et des colonies de moustiques, il faut bien compenser. Imaginez, la Finlande fin de siècle (le XIXè, hein). 




Quand on voit la propension des compositeurs russes voisins à se suicider ou à sombrer dans la dépression, on comprend mieux que copain Jean ait choisi la bibine. Malheureusement, ça ne suffira pas.

Je m'égare. 

Jeannot est né en 1865, et il meurt relativement vieux en 1957, et si ma calculette ne se trompe pas, ça nous fait quand même 91 bonnes et longues années de boisson, de rênes et de pages musicales inspirées.  Wikipédia vous racontera sa vie mieux que moi. On retiendra juste que sa première composition fait dans l'original: Gouttes d'eau. Dans un pays envahi par l'eau et la pluie, on fait difficilement plus osé. Si vous voulez écouter, c'est assez rigolo, et ça se trouve sur un disque formidable pour qui veut découvrir le Sibelius jeune et encore un chouilla joyeux. 




Le pauvre Johan Christian Julius (on comprend mieux la vodka, là?) fait partie de ces finlandais qui parlent le suédois. Très vite, donc, il compose, et ses parents - inspirés - ont l'idée de la placer dans un collège finnois, histoire de ne pas surcharger le passif. On passera sur les anecdotes, et on s'intéressera tout de suite au début de sa carrière musicale. 

L'ami Sibelius rencontre assez vite Busoni. On va la faire simple, c'est un compositeur italien au physique de curé un peu taré, qui trouve Bach excitant et amusant (oui, oui...). J'y reviendrai peut-être un jour. Assez tôt, donc, il se met à la musique. Vers 18 ans, il écrit un trio assez rigolo, mais déjà un peu déprimant, plein de tragique et de pathos. Et puis il y a des sonates pour violon et piano, et essentiellement de la musique de chambre charmante, mais pas encore très aboutie. On dirait du Kuhlau (ça n'est pas une insulte, j'insiste). On ne sent pas vraiment la Finlande, les moustiques sont encore loin, mais déjà une première oeuvre un peu importante approche. 

C'est un jeune homme adulte, en 1889, qui va connaître la révélation critique grâce à un quatuor décisif. 




C'est très joli, non? La structure est relativement simple, et ce mouvement (lire la vidéo ci-dessus) est plutôt banal dans sa construction. Ca peut sembler peu audacieux, mais si l'on remet les choses en contexte, et en attendant un article sur l'histoire de la musique scandinave (qui viendra, promis), il faudra me croire: c'est révolutionnaire, pour la Finlande fin de siècle - toujours le même.

Lors d'un concert public, ce quatuor en la mineur récolte un joli petit succès, et séduit même quelques critiques musicaux un peu intrépides, lassés d'écoute en boucle les opus de Niels Wilhelm Gade - mais j'y reviendrai. 

Ce début de célébrité coincide peu ou prou avec le début des découvertes et des désillusions. Le petit Jean s'en va en Allemagne, après son conservatoire, pour apprendre auprès des grands frères teutons. Il faut bien saisir le climat finlandais: peu ou pas de classe d'orchestration véritable, et Sibelius, sans ce voyage, aurait été condamné à composer autant de trios que Boccherini écrivit de quintettes (un paquet). A Berlin pour un an, il demande à rencontrer Brahms, qui refuse, et doit se satisfaire de Bruckner (moins glamour). Il écoute Bruckner, donc, mais aussi Dvorak, et écoute Strauss: traumatisme. Pour se remettre, il pond un petit quintette, histoire d'oublier ce à quoi ressemble une symphonie. Fin du printemps, début de l'été 1890, le petit Sibelius s'en retourne au pays du froid. Il déclarera ne pas avoir aimé Berlin, avoir trouvé la ville sale et bruyante: pour supporter la vie berlinoise, il se met (enfin!) à l'alcool. Début d'une grande histoire d'amour. Etonnamment, mais je ne me risquerai à aucun parallèle, il commence à composer des choses de qualité. A Berlin, il écrit un quintet pour piano, méconnu et très peu joué, pourtant plus audacieux que ses compositions précédentes. Le geste est encore maladroit, et ça n'est pas irremplaçable, comme oeuvre. Pour vous faire une idée, cliquer ci-dessous:




L'écriture reste simpliste, avec des lignes mélodiques reprises par chaque instrument à tour de rôle. C'est joli, encore, c'est déjà plus inspiré. Ca sent bon le sapin. 

On est encore loin du génie. Mais l'orgueil blessé accouche des plus grandes revanches. La vie de Janne en sera l'illustration - je n'invente pas, ses copains de boisson l'appellent Janne, mais évidemment, ça passe mieux en finlandais. 

La suite bientôt, car je devine votre impatience... ! 

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