jeudi 31 mai 2012

(I) Semaine "Carlo Maria Giulini" (discographie)

Petite sélection discographique d'un chef adulé en son temps, qui a tendance à tomber, parfois, dans l'oubli. Le principe: un disque par jour jusqu'au week end prochain, et pas forcément des enregistrements parmi les plus connus.


On commence cette semaine avec une vraie curiosité.


Cet enregistrement est tout à fait étonnant: 









Bach, Messe BMV 232, New Philharmonia Orchestra, New Philharmonia Chorus, Janet Baker, Jennifer Hill, Peter Pears, John Shirley-Quirk, BBC classics, captation livre, Cathédrale St Paul de Londres, 1972


Malheureusement, le chef italien dirige un New Philharmonia en très petite forme (comme trop souvent à cette époque), et l'orchestre est techniquement court. Le choeur n'est pas particulièrement flamboyant non plus. Le son est souvent voilé: en cause, une captation plutôt moyenne: on comprend vite qu'on se trouve dans une cathédrale, avec un son très diffus, assez peu précis, et logiquement, parfois trop pâteux. Pourquoi s'intéresser à ce disque, alors? Eh bien pour Giulini, qui propose une direction de Bach fascinante, totalement hors style. On croirait entendre le Richter du Clavier bien Tempéré, l'aisance technique en moins. Et c'est aussi l'occasion de redécouvrir Janet Baker dans une oeuvre plutôt différente des références incontournables de sa discographie. Ses compères sont corrects, sans être transcendants.
Bien sûr, ce disque n'est pas à acquérir pour découvrir l'oeuvre, mais ouvre une porte sur un répertoire hermétique à certains, ou propose aux initiés de redécouvrir une magnifique messe BMV232. 
Pour ne rien gâcher à l'affaire, on trouve en dernière piste près de 18 minutes d'entretien avec le critique musical anglais John Amis.
Les amateurs de prise de son plus usuelle pourront se diriger vers son enregistrement de 1994, beaucoup moins inspiré cependant, avec un quatuor vocal de qualité moindre, avec un Bayerischer Rundfunk Symphonieorchester en petite forme lui aussi.
Je ne suis pas sûr que Bach ait imaginé qu'on joue un jour sa musique religieuse de la sorte, mais Giulini l'a fait, avec un certain talent, et une certaine humilité.

dimanche 20 mai 2012

Info du blog

Petite information au passage, l'ajout de commentaire pour mes visiteurs extérieurs vient d'être activé. Par défaut, je viens de le réaliser, il ne l'était pas ! 


Plus de raison pour rester anonyme !

samedi 19 mai 2012

Dvorak, 4ème symphonie - (Discographie)

Dans la 4è, la comparaison oppose deux versions évidentes: Rowicki et le LSO, et Kertész, toujours avec le même orchestre. La comparaison de ces deux intégrales se révèle tout à fait fascinante: l'orchestre identique, d'un niveau peu ou prou équivalent, selon les versions, permet de mettre en relief l'influence d'un chef, d'une direction d'orchestre, sur l'interprétation proposée d'une même partition. J'écarte d'emblée Kubelik, lourdingue, balourd, et beaucoup trop germanique dans cette 4ème symphonie, qui se veut aérienne. 

Rowicki propose une interprétation très subtile de l'oeuvre, très colorée - encore - et dynamique. Le mouvement, le rythme, le ménagement des nuances et des tempi, tiennent une place prépondérante dans le projet qui est le sien: peu à peu, l'espace sonore de la symphonie se déploie dans toute sa complexité, dans toute la richesse d'une orchestration bien plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord. Le premier mouvement, Allegro, est un modèle du genre: les attaques sont très percutantes, très incisives, parfois un peu trop massives ou compactes, mais très marquées. Le rythme est mis en exergue: on entend presque trop la pulsation, mais cela donne une vie et un allant indéniable à cette lecture. 

Ce que proposent Rowicki et le LSO dans le second mouvement, l'Andante sostenuto e moto cantabile, est absolument bouleversant. Rowicki, surtout, met en exergue la parenté wagnérienne de ces pages très émouvantes, à l'orchestration débarrassée de tout artifice inconvenant. L'ouverture thématique du mouvement par le pupitre des bois est une réussite totale, et les timbres vraiment très travaillés. La modulation aux cordes est tout aussi réussie, et on croit entendre assez souvent une réécriture du Tannhäuser. J'émettrai une simple critique sur l'intervention, tout au long de ce mouvement, des violoncelles parfois trop en retrait. La très belle prise de son, très transparente, très claire, aurait permis une reprise thématique par ces instruments plus pertinente et plus marquée, peut-être plus dramatique, comme c'est le cas chez Kertész. L'exposition thématique, la précision analytique de la direction de Rowicki, et la beauté parfois stupéfiante des timbres font de ce mouvement une réussite totale. 
La version de Kertész est très belle. D'emblée, néanmoins, on entend trop les cuivres, et pas assez les bois, dans cette introduction jouée un peu plus rapidement, plus tenue, plus dense. Le pupitre des cordes est dirigé d'une main de maître, souvent plus marqué, plus lyrique que chez Rowicki. On est dans une lecture beaucoup plus romantique, plus clivée, avec un sens du climax qui manque peut-être au chef polonais. Plus de poésie, mais moins de clarté dans l'expositon thématique, dans la mise en évidence de l'intelligence de l'orchestration du compositeur tchèque. 
Les deux versions se valent, mais la richesse et la grande sérénité du propos chez Rowicki l'emportent chez moi. 

Les deux scherzos, Allegro feroce, sont particulièrement réussis, mais Kertész est vraiment à son avantage dans ce mouvement. Rowicki est plus sec, plus incisif, dans l'économie de moyens et installe l'oeuvre dans une amplitude sonore toute maîtrisée. C'est très dynamique, très animé. Kertész est stupéfiant dans ces pages: mêmes qualités que Rowicki (belle amplitude du son, lecture très dynamique), mais en plus de cela, un travail sur les timbres extraordinaire, et surtout, une passion et un engagement réellement impressionnants. C'est aussi une lecture très nationale, beaucoup moins rationnelle et posée que celle de Rowicki. Les bois sont magnifiques tout du long, et les cuivres vraiment très équilibrés. L'interprétation est surtout habitée par un souffle réel, un allant et une intelligence du geste orchestral rares. 

Une fois n'est pas coutume, c'est Rowicki qui se montre le plus vif dans le finale de cette belle symphonie. L'Allegro con brio qu'il propose est tout à fait pertinent, très très coloré, riche de nuances et d'une précision dans la lecture tout à fait remarquable. Kertész est un peu devant encore une fois: plus ample, la direction ouvre un espace sonore plus ambitieux, plus animé, peut-être plus dramatique aussi. Les deux versions sont à un niveau d'excellence qu'il faut souligner et féliciter. Kertész amène peut-être plus de génie au texte, quand Rowicki se focalise sur la mise en évidence très analytique des segments mélodiques et thématiques. 

Deux très belles versions, au sommet de la discographie, qui ne se différencient dans la qualité que de par les partis pris, à l'appréciation de chacun. 

Difidi!

L'information musicale du week-end, c'est bien sûr le décès de Dietrich Fischer-Dieskau. Je prépare un petit article à cet égard, mais qui mettra un peu de temps à sortir. 


Saluons déjà, néanmoins, un grand et bel artiste... 

Dvorak, 7è symphonie - (Discographie)



Je continue ma première exploration de l'intégrale Rowicki/LSO.

La 7è de Dvorak est peut-être ma préférée. La plus constante dans l'intensité, et peut-être, aussi, celle qui fait la plus belle part au pupitre des cordes. Je vais essayer de situer cette version en regard de mes deux références personnelles: Giulini avec le LPO pour EMI, Kertesz et le LSO, et Mackerras avec le Philarmonia. 



Qualité de l'orchestre

Kertesz et Rowicki se partagent le LSO. Difficile de les départager sur ce point, d'autant que les enregistrements sont quand même relativement proches chronologiquement. Le pupitre des bois, c'est la différence la plus frappante, sonne beaucoup plus clairement chez Rowicki, mieux mis en valeur, moins étouffé, et surtout, beaucoup plus engagé. Ca s'entend particulièrement dans l'ouverture du Poco Adagio. Pour le reste, la qualité de l'orchestre est plutôt équivalente: on retrouve le LSO des grands jours, très assuré techniquement, solide, avec une jolie qualité de timbres. Les cordes sont très profondes, et chez Rowicki, donc, les flûtes, et les bois dans l'ensemble, sont particulièrement agréables et justes. La différence se fait aussi sur la qualité des cuivres, peut-être plus ronds chez Rowicki, et dans tous les cas moins cinglants. 
Le Philarmonia de Mackerras sonne très différemment. Il y a bien sûr, la direction d'orchestre qui jour. Mais j'y reviendrai plus tard. L'essentielle différenciation qui ressort de cette écoute, c'est la qualité des cordes chez Mackerras, comme toujours impeccables. Là où ce pupitre, dans la version de Rowikci, était parfois trop prominent, l'écoute du Philarmonia/Mackerras donne à entendre des cordes parfaitement équilibrées, mais aussi beaucoup plus classiques. Ca peut sonner moins engagé, ca peut paraître de meilleur goût, tout est question de point de vue. La prise de son doit jouer aussi. Les bois du Philarmonia sont sublimes, même si les flûtes sont parfois f quand la partition indique p. Dans l'ensemble, je préfère l'équilibre du Philarmonia à un LSO de très bonne qualité mais aux bois et cuivres inférieurs. Et je préfère la légèreté et la vivacité des cordes du Philarmonia, moins compactes et plus aériennes que celles du LSO. 
Reste à écouter Giulini et le LPO. J'aurais pu pousser le vice à préférer la version très honorable enregistrée avec le Philarmonia pour la BBC, mais l'enregistrement avec le LPO me semble infiniment supérieur. Néanmoins, à parler de l'orchestre, il faut reconnaître que le LPO est ici beaucoup moins convainquant que le Philarmonia. Ca reste de très bonne qualité, mais les bois sont beaucoup moins pertinents, et les cuivres parfois beaucoup trop grinçants et acides. Il y a de beaux timbres, cependant, et le pupitre des cordes n'est pas très loin. 



   










Tempi

Mackerras/Philarmonia, 10:25 / 9:42 / 7:31 / 9:18
Rowicki/LSO, 10:42 / 10:14 / 7:42 / 9:20
Kertesz/LSO, 10:19 / 10:08 / 7:23 / 9:15
Giulini/LPO, 11:34 / 11:33 / 7:59 /9:49



On a trois versions relativement nerveuses, et proches les unes des autres. Dans le premier mouvement, c'est Kertesz qui est un tout petit plus rapide que Mackerras, distançant Rowicki, qui fait figure de version peut-être plus équilibrée, entre ces deux captations et celle très lente de Giulini (11:34! Shocked). Cet Allegro Maestoso ne l'est, Maestoso, peut-être que chez Giulini, qui saisit pleinement la signification du terme. L'introduction est très solennelle chez le chef italien, pas très loin de Bruckner ou de Mahler. Rowicki est très sage, sans prise de risque, et la partition est respectée à la lettre. Ca manque soit de nervosité, soit de solennité. Ca gagne en clarté d'exposition, néanmoins. 
Le second mouvement n'est pas adagio du tout chez Mackerras, qui prend vraiment le poco à son compte. Les tempi dans ce mouvement prêtent à Mackerras une intention, défendable, de concentration, de réduction des effets pathétiques: il propose une lecture très claire, très droite. Giulini est encore une fois très solennel. Kertesz et Rowicki, avec ce juste milieu, proposent une lecture plus empreinte de poésie. C'est très proche, dans les deux cas. Et le tempo chez Giulini, s'il accouche d'une construction sonore impressionnante, et parfois trop distendu, et rend l'écoute moins confortable. 
J'ai une gros coup de coeur pour le scherzo de Giulini, j'y reviendrai. Pour un tempo plus fidèle à la partition, et certainement à l'idée que s'en faisait Dvorak, il faut plutôt chercher chez Mackerras ou Kertesz, très dansants. 
Dans le dernier mouvement, on a trois versions très proches, et encore un Giulini plus lent. Un peu trop lent, ici. Je trouve que ça passe moins bien. 
Néanmoins, à l'arrivée, même si au cas par cas je peux préférer tel ou tel mouvement, c'est bien la cohérence des tempi de Giulini qui s'impose: la vision est tenue du début à la fin, totalement assumée. La direction donne les moyens de son ambition à cette interprétation très large et libérale des tempi de cette symphonie.





Direction / interprétation 

Giulini est impressionnant. Je l'ai dit: beaucoup de solennité, de majesté, et un sens de la nuance parfait. De belles pauses et des silences pertinents, des gradations parfaitement menées. Jamais, pourtant, le chef italien ne sombre dans la lourdeur ou dans la pompe. 
C'est une lecture très métaphysique, très spirituelle. 
Kertesz propose une lecture plus fougueuse, plus nerveuse, très nationale en un sens, marquée par quelques tics de direction parfois un peu fatigants, et des effets pas toujours très subtilement amenés. 
Si l'on refuse, et c'est tout à fait possible, la lecture que propose Giulini de Dvorak, à mon sens, le match se joue entre Rowicki et Mackerras. Le premier est très classique: peu d'effets, beaucoup d'implication et d'engagement, mais assez peu de souffle, et un sens toujours présent de la mesure, de la sobriété. Le troisième mouvement de Rowicki est tout à fait remarquable. Quand Giulini propose une lecture dramatique du scherzo, très intense, confinant parfois à la célébration tragique - qui n'a pas forcément lieu d'être ici -, Rowicki est admirable de dynamisme, de légèreté, de chantant. C'est le gros point fort de son enregistrement, que ce mouvement parfaitement maîtrisé et tenu, très coloré, si plein d'esprit et d'humour par moments qu'on croit parfois entendre du Saint-Saëns en mieux. La direction de Mackerras est beaucoup plus typée. C'est, de toute façon, un chef très reconnaissable: vif et subtil, et d'un sens de la nuance, des effets, rare. Dans l'exposition thématique et la compréhension du texte de la partition, il est peut-être plus pertinent. Moins coloré que Rowicki, mais plus ambitieux, plus analytique. Kertesz est le perdant de cette petite écoute comparée personnelle: un peu trop furieux, un peu trop nerveux. C'est une vision de l'oeuvre très marquée, qui se défend elle aussi, mais qui finit par lasser. 

Au final, chacun se fera son avis, et trois versions au moins sur les quatre sont indispensables à qui aime la musique symphonique de Dvorak, ou la musique symphonique tout court d'ailleurs! drapeau 

Je suis néanmoins très content de cette écoute de Rowicki, peut-être encore plus agréable à la découverte que dans la 5è, même si moins surprenante que sa troisième, qui souffre aussi certainement moins de la concurrence de sommets discographiques répandus. J'ai néanmoins l'impression d'entamer la découverte d'une très grande et très belle intégrale. 



Bonne écoute !



mardi 15 mai 2012

Carlos Fuentes

Ce soir, Carlos Fuentes s'est éteint. Cet écrivain mexicain aura traversé le vingtième siècle, et les guerres, et les révolutions, en restant fidèle à la seule devise qui vaille: écrire toujours. D'autres feront mieux que moi l'éloge funèbre de ce grand écrivain, de cet homme de mot, d'idées et de valeurs. 

Me restera - si je devais n'en garder qu'un - le souvenir de La muerte de Artemio Cruz, livre d'une perspicacité rare, d'une acidité et d'une poésie paradoxales, confondantes et saisissantes d'intelligence. 


Je laisserai Paz le poète conclure pour moi, et je vous offre la traduction: 

'' Et comme l'air entre les feuilles
se perdre dans le feuillage de la brume
et comme l'air, être des lèvres sans corps,
un corps sans poids, une force sans rives !'' 

dimanche 13 mai 2012

Pourquoi écoute-t-on Bach le dimanche?

Je ne sais pas vous, mais à la maison, le dimanche, c'est baroque. 

Dans une belle part des foyers français, encore aujourd'hui, le dimanche est prétexte à de nombreuses festivités. Pour les plus jeunes d'entre vous, il s'agit souvent d'une dégustation familiale d'un plat en sauce quelconque, qui viendrait s'échouer sur un estomac abîmé par une folle nuit de fièvre festive. Pour d'autres, il s'agira des traditionnels repas d'après Messe, d'après après Chabbat, et j'en passe. 

De plus loin que je m'en souvienne, à la maison, tout petit, mes parents, compréhensifs, m'ont toujours imposé du Bach, et, parfois d'humeur festive et légère, ils s'autorisaient le Requiem de Mozart. Néanmoins, souvent, très souvent, c'était Bach. Paye ton dimanche.





Quoi qu'il en soit, nos dimanches étaient dominés par l'écoute religieuse et apaisée d'une succession ininterrompue de messes et de cantates toutes plus folles les unes que les autres.

Mes parents, plus athées qu'eux tu meures, auraient-ils, pendant des années, cédé à une réflexe primaire et grégaire, qui voudrait que tout amateur de musique dite classique se voit obligé d'expier le dimanche ses errements de la semaine?

Je ne vois que trois raisons objectives à cette transhumance hebdomadaire. Je les énoncerai suivant une hiérarchie simple, allant de la plus acceptable à la plus folle:



  • Le dimanche, on s'ennuie. C'est un passage obligé, presque une tradition. Ingérer l'intégrale de la Passion selon Saint Matthieu serait un acte d'adhésion à ce postulat de base, qui veut que le dimanche s'apparente à un perpétuel calvaire. Une fois la passion achevée (on va tabler sur 4 ou 5 heures), la journée est presque finie. On a souffert, mais on s'en est sorti. On est presque heureux de voir la semaine recommencer. On suit donc un schéma classique, presque liturgique: faute -> pénitence -> délivrance. 
C'est au final une pénitence bien plus douce que d'autres:



Bach, c'est moins lourd qu'une croix, sauf à se trimballer l'intégrale de la musique instrumentale sur le dos. Passons à la deuxième explication plausible:
  • La pression sociale. Parce qu'on a toutes et tous connus une Mamie Marie ou une Grand'tante Christine, engoncée dans sa jupe dominicale comme un fagot de haricots vers mal cuits, le visage rose et porcin évoquant irrémédiablement la laie de bacon cru qu'on aurait oublié de passer au four. Sinon, vous avez eu de la chance. Dans tous les cas, pour faire plaisir à cette intruse gênante, et éviter toute conversation un tant soit peu poussée qui dévierait avec effroi sur des sujets considérés comme inopportuns par Tatie (c'est à dire à peu près tout), se ramasser docilement sur le canapé trop étroit, le visage tendu vers la platine, plein d'une piété toute feinte, justifiait l'écoute de Bach. 

L'illustration obligée:



  • Vous et votre famille aimez réellement la musique de Bach. Vous trouvez dans l'intégrale des Passions matière à discussion, vous vous repaissez de contrepoint comme une fourmi se régale de pucerons. Dans ce cas, vous êtes irrécupérable. L'austérité, pour vous, ça n'est ni nouveau, ni effrayant: c'est un mode de vie. Vous dormez certainement sur une paillasse, ou sur un peu de foin, dans la cellule qui vous fait office de chambre. J'imagine que vous vous nourrissez uniquement de pain de noir, et que vos enfants vont à l'école en sabots. Un seul remède, pour vous. Ca ressemble à Bach, pourtant on s'en éloigne un tout petit peu:







Armez vous de courage, et à force d'écoutes obligées, vous parviendrez peut-être à vous guérir de cette étrange addiction. Moi, j'ai renoncé. 




samedi 12 mai 2012

De l'utilité d'écouter Sibelius (I)

Moins immédiate que la musique symphonique d'Europe germano-française, parce que plus éloignée, peut-être, ou juste trop différente, la musique de Sibelius est longtemps restée méconnue, ou mal connue, dans nos contrées francophones. 

Sibé-qui? Sibelius, prononcer Sibélius, pour briller en société. Jean de son prénom, l'ami Sibelius est le seul compositeur finlandais que votre maman connaîtra. C'est aussi, avec Grieg, pour les norvégiens, le seul nordique dont on trouvera trace dans les innombrables intégrales classiques. Vous savez, ces trucs aux pochettes toujours un peu moches, qui vous rappellent sans cesse que les maisons de disque n'ont toujours pas compris l'utilité de Photoshop. 

Quoi qu'il en soit, l'ami Sibelius, alcoolique notoire - oui, ça a son importance -, était aussi un compositeur de génie. L'alcoolisme, me direz-vous, est compréhensible. Quand on naît musicien dans un pays de bucherons, de caribous, avec pour seul paysage des forêts, des lacs et des colonies de moustiques, il faut bien compenser. Imaginez, la Finlande fin de siècle (le XIXè, hein). 




Quand on voit la propension des compositeurs russes voisins à se suicider ou à sombrer dans la dépression, on comprend mieux que copain Jean ait choisi la bibine. Malheureusement, ça ne suffira pas.

Je m'égare. 

Jeannot est né en 1865, et il meurt relativement vieux en 1957, et si ma calculette ne se trompe pas, ça nous fait quand même 91 bonnes et longues années de boisson, de rênes et de pages musicales inspirées.  Wikipédia vous racontera sa vie mieux que moi. On retiendra juste que sa première composition fait dans l'original: Gouttes d'eau. Dans un pays envahi par l'eau et la pluie, on fait difficilement plus osé. Si vous voulez écouter, c'est assez rigolo, et ça se trouve sur un disque formidable pour qui veut découvrir le Sibelius jeune et encore un chouilla joyeux. 




Le pauvre Johan Christian Julius (on comprend mieux la vodka, là?) fait partie de ces finlandais qui parlent le suédois. Très vite, donc, il compose, et ses parents - inspirés - ont l'idée de la placer dans un collège finnois, histoire de ne pas surcharger le passif. On passera sur les anecdotes, et on s'intéressera tout de suite au début de sa carrière musicale. 

L'ami Sibelius rencontre assez vite Busoni. On va la faire simple, c'est un compositeur italien au physique de curé un peu taré, qui trouve Bach excitant et amusant (oui, oui...). J'y reviendrai peut-être un jour. Assez tôt, donc, il se met à la musique. Vers 18 ans, il écrit un trio assez rigolo, mais déjà un peu déprimant, plein de tragique et de pathos. Et puis il y a des sonates pour violon et piano, et essentiellement de la musique de chambre charmante, mais pas encore très aboutie. On dirait du Kuhlau (ça n'est pas une insulte, j'insiste). On ne sent pas vraiment la Finlande, les moustiques sont encore loin, mais déjà une première oeuvre un peu importante approche. 

C'est un jeune homme adulte, en 1889, qui va connaître la révélation critique grâce à un quatuor décisif. 




C'est très joli, non? La structure est relativement simple, et ce mouvement (lire la vidéo ci-dessus) est plutôt banal dans sa construction. Ca peut sembler peu audacieux, mais si l'on remet les choses en contexte, et en attendant un article sur l'histoire de la musique scandinave (qui viendra, promis), il faudra me croire: c'est révolutionnaire, pour la Finlande fin de siècle - toujours le même.

Lors d'un concert public, ce quatuor en la mineur récolte un joli petit succès, et séduit même quelques critiques musicaux un peu intrépides, lassés d'écoute en boucle les opus de Niels Wilhelm Gade - mais j'y reviendrai. 

Ce début de célébrité coincide peu ou prou avec le début des découvertes et des désillusions. Le petit Jean s'en va en Allemagne, après son conservatoire, pour apprendre auprès des grands frères teutons. Il faut bien saisir le climat finlandais: peu ou pas de classe d'orchestration véritable, et Sibelius, sans ce voyage, aurait été condamné à composer autant de trios que Boccherini écrivit de quintettes (un paquet). A Berlin pour un an, il demande à rencontrer Brahms, qui refuse, et doit se satisfaire de Bruckner (moins glamour). Il écoute Bruckner, donc, mais aussi Dvorak, et écoute Strauss: traumatisme. Pour se remettre, il pond un petit quintette, histoire d'oublier ce à quoi ressemble une symphonie. Fin du printemps, début de l'été 1890, le petit Sibelius s'en retourne au pays du froid. Il déclarera ne pas avoir aimé Berlin, avoir trouvé la ville sale et bruyante: pour supporter la vie berlinoise, il se met (enfin!) à l'alcool. Début d'une grande histoire d'amour. Etonnamment, mais je ne me risquerai à aucun parallèle, il commence à composer des choses de qualité. A Berlin, il écrit un quintet pour piano, méconnu et très peu joué, pourtant plus audacieux que ses compositions précédentes. Le geste est encore maladroit, et ça n'est pas irremplaçable, comme oeuvre. Pour vous faire une idée, cliquer ci-dessous:




L'écriture reste simpliste, avec des lignes mélodiques reprises par chaque instrument à tour de rôle. C'est joli, encore, c'est déjà plus inspiré. Ca sent bon le sapin. 

On est encore loin du génie. Mais l'orgueil blessé accouche des plus grandes revanches. La vie de Janne en sera l'illustration - je n'invente pas, ses copains de boisson l'appellent Janne, mais évidemment, ça passe mieux en finlandais. 

La suite bientôt, car je devine votre impatience... ! 

Ouverture

Où l'on parle musique classique, de Monterverdi à Rautavaara; mais aussi de littérature française, et souvent étrangère; de lectures diverses, d'actualités culturelles, de cinéma et de télévision, plus rarement; mais aussi cuisine, parce que l'on ne vit pas - encore - que de l'art.


A vous lectrices, lecteurs, soyez bienvenu(e)s sur ces pages. Par ici, je chercherai à partager mes impressions, mes lectures, mes écoutes, mes dégustations diverses.